Le Jardin D’Asie Méridionale

le goût du mystère

Dès qu’on franchit l’accès, on se trouve devant un groupement d’arbres qui nous offre un spectacle des plus inattendus. Les arbres en question sont des ficus. Ces derniers ne cessent de s’étendre grâce aux longs filaments qu’émettent leurs branches.

Quand ces filaments touchent le sol, ils prennent racine et forment de solides étais lesquels, avec leur écorce grise et rugueuse, donnent exactement l’aspect d’un amas de trompes et de pieds d’éléphants. Ils semblent être des géants figés dans leurs lutte. A côté de cette végétation d’aspect animal, à la richesse étrange et chaotique, apparaissent des gerbes de bambous. Toutes ces lignes qui montent attirent immanquablement le regard du promeneur vers le haut, vers les planches de plumes qui se découpent sur le ciel bleu, vers la dentelle des feuillages ou vers la floraison vertigineuse des arbres. Mais quand le regard se pose sur le sol, il découvre un autre champ d’exploration beaucoup plus modeste. Il s’agit de grands massifs de Crinum qui créent à leur tout un charme naturel. De plus, d’autres végétaux singuliers s’enracinent et escaladent les troncs des nombreux arbres et palmiers.

En faisant quelques pas supplémentaires, le promeneur arrive sur les bords d’un étang où des papyrus forment un ourlet de verdure couronné d’ombrelles légères et où les autres plantes des marais constituent des massifs fleuris très étendus. A la surface de l’étang, il y a de nombreux nénuphars qui fleurissent durant l’été. Cet étang est d’autant plus remarquable que c’est l’endroit où la lumière règne, reflétée par l’eau et les nénuphars ou par les ombrelles de papyrus.

Il offre un miroitement éblouissant après la traversée des lieux sombres, des sous-bois et grottes. C’est encore par un effet de contraste que la surprise est produite. Au cours de sa promenade aux alentours de cet étang, le promeneur emprunte une passerelle qui a la forme d’une arcade et qui a un aspect très rustique. Cette passerelle mène à un petit pont en béton qui conduit à un lieu où les essences à feuilles caduques l’emportent largement. De ce fait les arbres sont moins élevés, le couvert est moins dense et saisonnièrement plus variable. Le sous-bois est donc développé et, en saison sèche, il flambe facilement. Les lianes sont peu abondantes. En marchant à cet endroit qui est abondamment lumineux, un affleurement rocheux couvert de liane se dresse devant nous. Il crée un contraste avec l’ambiance environnante. Dès qu’on se trouve au pied de cet affleurement, on voit un escalier presque enfoui dans une touffe de végétation luxuriante. Cet escalier mène au sommet d’une colline par laquelle on passe de l’autre côté de ce jardin. Ce passage a la forme d’un tunnel où la lumière est peu abondante et où on est envahi par un sentiment de peur. A ce niveau, on remarque qu’il n’y a pas de percées visuelles.

Pour surprendre le promeneur, M. FRANCOIS n’a pas voulu créer des points de vue - sa conception en cet endroit diffère de celle des passages surélevés des Antilles et du Brésil. Après ce passage où on s’est senti enfermé, on passe par un espace dégagé où un vaste étang nous offre plusieurs scènes composées : il y a les coloris des feuillages et des fleurs qui flottent à la surface de l’eau et qui délimitent les pourtours de l’étang, les troncs élancés des arbres inclinés qui se mirent à la surface de l’eau, le murmure et la modulation du vent qu’on peut écouter dans les arbres, le bond bruyant d’une grenouille ou d’une tortue. Le but d’un tel obstacle est d’accentuer le mystère de la nature, en multipliant les difficultés du cheminement. On arrive à un endroit qu’on n’a pas encore parcouru, on est étonné par le désordre existant : clôtures endommagées, végétaux dégradés, dépôt de la matière sèche .....

Quand nous dépassons cet endroit, le chemin nous mène à un lieu où se dresse un escalier au-dessous duquel se trouve une porte rustique. Cette construction nous invite inévitablement à grimper l’escalier. Une fois en haut, on découvre un pont en bambou enjambant un étang. Le pont en question fait naître chez le promeneur une impression d’instabilité et de mouvement que viennent renforcer le reflet et la profondeur de l’eau. Bien que l’endroit soit dégagé et éclairé, une sorte de peur ou d’angoisse s’empare du promeneur. Par ce pont on arrive à des blocs de pierres creusés, sillonnés de crevasses. Ces blocs sont entassés et forment une montagne dont le pied est dans l’eau. De l’autre côté de cette montagne, il y a un petit pont fait de dalles par lequel on continue notre circuit dans le jardin chinois.